Il n’y a pas si longtemps , on conseillait aux agriculteurs africains comme à ceux des pays industrialisés de faire des cultures pures en rotation, d’utiliser des engrais et des produits phytosanitaires pour obtenir des rendements élevés sans prendre en moindre considération les inconvénients collatéraux d’une telle agression contre nature. Ce qui exige et exige encore l’apport de facteurs de production assez chers et qui a conduit à l’utilisation d’un nombre limité de cultures pour faire les rotations. Mais les conditions de développement (forte croissance démographique, faible pouvoir d’achat, risques climatiques élevés, …) dans nos pays sont différentes de celles des pays industrialisés. Les résultats sont si désastreux que le problème majeur à présent en Afrique est de produire de quoi manger. Ensuite, il faut diversifier les cultures pour avoir des chances de pouvoir les exporter.
Pour cela, tout le monde s’accorde pour dire qu’il faut trouver des systèmes de production capables de garantir la stabilité de la production agricole, d’utiliser le minimum de facteurs de production venant de l’extérieur , de restaurer et maintenir la productivité de la terre pour les générations à venir. L’un des systèmes est l’Agroforesterie.
Les Approches de l’Agroforesterie
Le Centre Mondial de Recherche en Agroforesterie (ex ICRAF) définissait en 1983 l’Agroforesterie comme ‘‘un système d’utilisation des terres consistant à associer , dans une unité d’aménagement des plantes ligneuses pérennes et des cultures agricoles annuelles et/ou des animaux domestiques, soit en succession, soit simultanément , afin d’accroître la production de façon durable’’.
L’Agroforesterie est donc une stratégie de développement rural qui peut présenter quelques avantages en Afrique où la teneur des sols en humus en général plutôt faible.
Pourtant cette pratique a véritablement du mal à s’implanter. Pourquoi cette réticence des responsables gouvernementaux agricoles face à une technique de production que nos paysans eux-mêmes pratiquaient déjà presque spontanément sous d’autres formes ? La pratique présente-t-elle plus d’inconvénients que d’avantages ?
L’Agroforesterie, comme toute technique, a sa rigueur et ses exigences aussi bien dans le choix des espèces d’arbres à complanter, dans la densité de plantation que dans les opérations d’entretien. Aussi, ceux qui veulent la pratiquer doivent-ils bien la connaître pour ne pas se tromper d’objectif. En effet, un ‘‘agroforestier’’ est avant tout un agriculteur ou un éleveur, ce n’est pas un sylviculteur . Son objectif est donc de produire plus et de façon durable grâce à l’association avec les cultures ou son élevage et non de produire arbres uniquement des arbres.
L’Agroforesterie est une pratique que nous recommandons aux paysans car elle sert à lutter contre l’érosion des sols et leur épuisement par régénération et entretien de leur fertilité. Elle permet aussi de produire du bois de feu ou de construction, du fourrage pour les animaux de ferme, des fruits et des aliments en compléments …Les paysans connaissent assez bien les avantages²qu’ils peuvent tirer de l’agroforesterie car c’est une pratique qui leur est familière et ancestrale , sous forme traditionnelle.
Les avantages de l’Agroforesterie
Si on arrive à satisfaire ses exigences, l ‘Agroforesterie peut offrir des avantages certains.
Avantages pour le s
L’arbre a une fonction essentielle de protection du sol. Grace à son feuillage abondant et souvent pérenne en saison sèche, il atténue considérablement les effets directs du vent, de la pluie tropicale plutôt torrentielle, du soleil ardu de saison sèche. (Rien de similaire et comparable aux zones tempérées !).La pluie et le vent sont les facteurs primordiaux d’érosion des sols. Puisqu’il s’oppose au splash-éclatement et destruction des mottes de terre, le ruissellement, le transport de la bonne terre par le vent, l’arbre permet au sol de ne pas se dégrader, il permet aussi au sol de garder sa fertilité en le protégeant de rayonnement solaire direct. Ces rayons détruisent en effet l’humus indispensable au maintien de la bonne structure de celui-ci..
Cet humus, par ailleurs , joue un rôle primordial dans l’infiltration des eaux de pluies dans le sol en place de son ruissellement avec érosion en nappe, rechargeant ainsi les réserves d’eau souterraines. Enfin, l’arbre améliore le sol puisqu’il maintient l’humidité de celui-ci en faisant baisser la température. Il fournit aussi une matière organique riche, abondante incomparablement mieux équilibré que n’importe quel engrais artificiel.
Pour les cultures
Les arbres protègent les cultures contre certaines intempéries . L’arbre fournit aussi de façon régulière les éléments nutritifs nécessaires à la vie des plantes complantées. En effet, les racines des arbres vont puiser en profondeur, dans le sous sol, les éléments minéraux et l’eau que les plantes annuelles ne peuvent pas atteindre ; ces éléments sont ensuite remise à la disposition des cultures en sous étage par le canal des feuilles qui tombent et se décomposent.
De surcroit, un bon nombre des arbres en Afrique sont des légumineuses fixatrices d’azote N2, à l’instar du groupe des arbres ‘‘ATI KUSAN.’’ locaux, dont la réputation n’est plus à faire dans le milieu paysan, grâce aux nodules, de type indéterminé et pérenne, dont ils sont les détenteurs, permanemment et indépendamment de la succession des saisons.
Belle collection de nodules de type indéterminé sur racines de Samanea saman : Cacaoyère de M. ZIKPI à Agou Gnongbo . Novembre. 2004.
Cet élément N2, pivot de la fertilisation , est par la suite rétrocédé au bénéfice des cultures complantées . On constate alors une augmentation des rendements de céréales en association. Dans ‘‘Pratiques d’agriculture écologique’’ p.23, Johannes Kotschi cite l’expérimentation de Charreau et Vidal , au Sénégal, avec la légumineuse Acacia albida mentionnant des augmentation de rendements de 50% ou plus avec seulement 30 pieds /ha de cette légumineuse fixatrice d’azote.
Racines secondaires d’un Albizia chevalieri jeune, riches en nodules de type indéterminé ; Kougnonhou , Mai 2004.:
Utilisés comme brise vent dans les champs, les arbres peuvent augmenter également les rendements. Une expérimentale menée dans la vallée de Majjia au Niger , par Bognetteau et Verlinden , a montré que dans une région qui a 454 mm de pluviométrie moyenne les rendements du mil complanté ont pu mieux utiliser l’eau là où il n’y en a pas suffisamment.
Nodule de type indéterminé de belle taille prélevé sur racine de Albizia chevalieri, Kougnonhou. Mai 2004
L’arbre sert aussi quelquefois de tuteur à certaines plantes comme le poivrier vert comme c’est ici le cas à Kougnohou par exemple. Voir photo ci-après :
Avantages pour l’écosystème
L’Agroforesterie contribue beaucoup au maintien de l’équilibre de l’écosystème. Les arbres, les animaux, le milieu vivent ensemble en harmonie. Si on coupe les arbres – habitat des animaux et autres…- , l’équilibre est rompu et dommageable à la Nature. Beaucoup de ses cycles se trouveront plus ou moins perturbés et par la suite défaillants : inondation, sécheresse ….
Poivriers sur support vivant d’Albizia chevalieri, Badou, Mai 2004
Enfin, comme dit plus haut , l’arbre maintient l’humidité du milieu. Il est certain que cet effet bénéfique sur le microclimat soit renforcé en association.
Avantages pour l’homme, les économies familiales et les animaux
Même dans les systèmes agroforestiers, l’arbre rend bon nombre de ‘’services traditionnels’’ : fourniture d’énergie, de bois, d’ombre , de fruits de médicaments de fourrage…C’est souvent un endroit privilégié pour certains cultes …indispensable à l’équilibre socio-culturel du milieu.
Quels sont les limites de l’Agroforesterie
Les techniques agroforestières présentent quelques inconvénients Ces inconvénients sont différents des problèmes qu’elles posent en plus dans la pratique.
Les inconvénients
Un des inconvénients majeurs de l’A.F est sans conteste la concurrence possible entre certain type d’arbre et les cultures complantées. Il peut exister une concurrence pour l’espace , donc pour la lumière, l’eau et les éléments nutritifs du sol. Un exemple patent est le cas de Gliricidia sepium dans les caféières et cacaoyères par inadaptation spécifique de l’espèce aux conditions climatologiques zonales ouest africaines. Autant Gliricidia est déifié au Brésil et se prénomme ‘‘Madre de cacao’’ (C’est dire quelle est son appréciation localement !!!), autant chez nous ici, dans la zone café-cacao est-il considéré et reconnu comme étouffant les plantes annuelles et donc rejeté par les paysans, à juste titre !!! Inadaptation totale de cette espèce allochtone à nos conditions climatologiques.
D’autre part, l’arbre occupe de la place dans les champs de petite dimension. Or, pour le paysan qui cultive avant tout pour se nourrir chaque pouce de terrain compte. L’espace ‘‘perdu’’ représente donc à ses yeux un inconvénient de taille du système dont il ne voit pas toujours la compensation pouvant résulter de l’association, surtout s’il n’est pas propriétaire mais simple métayer.
Enfin, les pratiques agroforestières se traduisent parfois par un surplus de travail. On doit s’astreindre à divers entretien comme la taille des racines, des branches, etc…
CONCLUSION
De nombreux défis se posent aujourd’hui à l’Agroforesterie. Les techniques traditionnelles ont survécu parce qu’elles répondaient et répondent encore aujourd’hui à des besoins ressentis par les populations rurales. Mais aussi parce qu’elles sont parfaitement adaptées aux conditions locales.
Si l’on veut l’implanter et réussir, l’AF version moderne doit elle aussi tenir compte des exigences du milieu pour proposer des solutions efficaces parce que adaptées au milieu. Force est de reconnaitre que les modèles qui remplissent ces critères ne sont pas nombreux pour le moment.
D’autre part , le seul objectif de restauration des sols ne suffit pas à motiver le paysan à s’investir totalement dans un système somme toute contraignant. D’autres objectifs comme l’apport d’argent , la satisfaction de besoins divers doivent être recherchés. Tout en menant des recherches dans ce sens, il faut avoir comme souci la diminution de la pénibilité du travail par de l’outillage agricole moderne adapté et surtout subventionné pour être à la portée du plus grand nombre...
Faute de pouvoir relever ces défis, l’AF n’est pas à l’abri du risque de ne pas avoir l’impact escompté./.
Le Président de l’ABCAF
Source: AGRIPROMO n°80, Janvier 1993